Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/88

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Une femme vulgaire se fût jetée entre ces deux jeunes gens prêts à s’entre-tuer. Marie-Anne ne bougea pas.

Le devoir de Maurice n’était-il pas de la défendre quand on l’insultait ! Qui donc, sinon lui, la protégerait contre la flétrissante galanterie d’un libertin ? Elle eût rougi, elle qui était l’énergie même, d’aimer un être faible et pusillanime.

Mais toute intervention était inutile.

Si la passion, le plus souvent, aveugle, il arrive aussi parfois qu’elle éclaire.

Maurice comprit qu’il est de ces injures qu’on ne doit pas paraître soupçonner, sous peine de donner sur soi un avantage à qui les adresse.

Il sentit que Marie-Anne devait être hors de cause. C’était affaire à lui d’expliquer les motifs de son agression.

Cette intelligence instantanée de la situation opéra en lui une si puissante réaction, qu’il recouvra, comme par magie, tout son sang-froid et le libre exercice de ses facultés.

— Oui, reprit-il d’un ton de défi, c’est assez d’hypocrisie, monsieur !… Oser parler de réparations après le traitement que vous et les vôtres lui avez infligé, c’est ajouter à l’affront une humiliation préméditée… et je ne le souffrirai pas.

Martial avait désarmé son fusil ; il s’était relevé, et il époussetait le genou de son pantalon, où s’étaient attachés quelques grains de sable, avec un flegme dont il avait surpris le secret en Angleterre.

Il était bien trop fin pour ne pas reconnaître que Maurice déguisait la véritable cause de son emportement, mais que lui importait !… S’il s’avouait, qu’emporté par l’étrange impression que produisait sur lui Marie-Anne, il était allé trop vite et trop loin, il n’en était pas absolument mécontent.

Cependant il fallait répondre, et garder la supériorité qu’il s’imaginait avoir eue jusqu’à ce moment.

— Vous ne saurez jamais, monsieur, dit-il, en regar-