Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/407

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ne ressemblent à aucune de celles que j’ai vues.

— D’abord, répondit le narrateur, à certains jours de l’année, les prêtres indiens y sacrifiaient en si grand nombre des victimes humaines, auxquelles ils arrachaient le cœur, que le sang coulait parfois le long des fissures du roc, comme l’eau de la pluie après une averse. Puis ensuite on raconte que l’un de ces malheureux, à qui on avait enlevé le cœur… Mais à quoi bon vous effrayer… et m’effrayer aussi, ma foi ! par le récit que j’ai ouï faire ?

— Dites toujours ! s’écrièrent les deux compagnons du domestique, tout en frémissant malgré eux, car au même instant un son étrange venait de sortir des roseaux ; avez-vous entendu ce bruit ?

— Oui ; c’est un caïman qui fait claquer ses mâchoires l’une contre l’autre. Eh bien ! puisque vous le désirez, continua le conteur, il paraît qu’un jour on venait d’ouvrir la poitrine d’un de ces malheureux, et, au moment où le sacrificateur en arrachait le cœur, il le saisit vivement lui-même dans la main du prêtre stupéfait, se dressa sur ses jambes et essaya de le replacer dans sa poitrine ; mais sa main tremblait, son cœur lui échappa et roula dans le lac. La victime poussa un cri terrible et s’élança dans l’eau pour le rattraper. Un pareil homme ne devait pas mourir, ainsi que vous le pensez bien, et, depuis près de cinq cents ans, l’Indien erre sur ces bords désolés, la poitrine ouverte et cherchant vainement le cœur qu’il veut y renfermer. Il n’y a pas plus d’un an qu’on l’a vu plongeant dans le lac à ce qu’on m’a dit. »

Le domestique se tut, et ses auditeurs effrayés jetèrent un regard involontaire et mal assuré sur la colline que le sang humain n’avait que trop réellement rougie jadis, et au-dessus de laquelle se balançait son chapiteau de brouillards.

« C’est peut-être sous cet amas de vapeurs que se