Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celles de la faim, redoublait le malaise des deux voyageurs ; de temps à autre, le dragon jetait un regard d’impatience sur le cheval de l’étudiant, et à chaque fois il s’apercevait que le pauvre animal, épuisé par le manque d’eau, ralentissait de plus en plus son allure.

De son côté, don Cornelio pensait bien que son compagnon de route résistait généreusement à l’envie de lâcher la bride à sa monture et de gagner, en quelques moments de galop, l’hacienda, dont trois lieues à peine le séparaient, et cette appréhension lui faisait redoubler ses efforts pour maintenir son cheval de picador au niveau du bai brun de l’officier des dragons de la reine.

Le voyage se poursuivit ainsi pendant une demi-heure encore à peu près, jusqu’à l’instant où il fut évident pour l’étudiant que sa bête devenait, de minute en minute, moins capable de suivre le trot de route le plus ordinaire.

« Seigneur étudiant, dit enfin le capitaine, avez-vous lu parfois de ces relations de naufrages dans lesquels de pauvres diables, tourmentés par la faim, tirent entre eux au sort pour décider quels seront ceux qui mangeront les autres ?

— Hélas ! oui, répondit Lantejas avec un certain effroi ; mais je ne pense pas que nous en soyons arrivés encore à cette épouvantable extrémité.

— Caramba ! répliqua très-sérieusement Tres Villas, je me sens une faim à dévorer un proche parent très-riche, surtout si j’en héritais, comme vous de monsieur votre oncle de l’hacienda de San Salvador.

— Mais nous ne sommes pas en mer, seigneur capitaine, et dans un canot dont nul ne peut sortir. »

Le capitaine avait cru pouvoir un instant s’amuser aux dépens du jeune homme assez crédule pour ajouter foi aux menaces fulminées par l’évêque Bergosa y Jordan dans un mandement devenu déjà célèbre ; mais il était loin de s’attendre à voir son naïf compagnon de voyage