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votre messager est venu… Alors j’ai tranché le lien qui attachait l’assassin à la queue de mon cheval… pour accourir plus vite vers vous. »

Gertrudis, presque défaillante, laissa retomber sa tête sur les coussins de sa litière, et comme don Rafael effrayé se penchait vers elle :

« Votre main, Rafael, dit-elle d’une voix mourante, pour le bonheur sans nom que vous me donnez ! »

Et don Rafael sentit, en frémissant de plaisir, la douce pression des lèvres de Gertrudis sur la main qu’il s’était hâté de lui livrer.

Puis tout aussitôt, honteuse de cet aveu de sa passion, Gertrudis referma vivement les rideaux de sa litière, pour savourer dans l’ombre et sous l’œil de Dieu seul la suprême félicité de se savoir aimée comme elle aimait, félicité qui la suffoquait, il est vrai, mais à laquelle elle sentait qu’elle devait la vie.

De même que ces fantômes qu’évoque parfois l’imagination ou que les rêves font passer sous nos yeux, et qu’on voit successivement s’évanouir, les divers personnages que nous venons de voir souffrir, aimer ou combattre, Fernando et Marianita, étendus sur leur brancard funéraire ; Gertrudis, dans sa litière, renaissant à la vie ; don Rafael, don Mariano et sa suite, tous s’éloignaient petit à petit de la scène où nous les avons vus pour la dernière fois. Don Cornelio, Costal et Clara, nous l’avons dit, avaient déjà disparu. Le dernier des cavaliers de l’escorte du colonel qui fermait la marche funèbre se perdait à son tour derrière le rideau de cèdres qui bordait l’Ostuta vers l’ouest.

Sur la rive désertée du lac, deux corps immobiles restaient seuls : l’un mort, c’était Bocardo ; l’autre vivant, c’était Arroyo, destiné, selon que son heure était ou n’était pas venue, à servir de pâture aux vautours, à expier ses crimes sous le poignard d’un royaliste ou à exciter la compassion d’un insurgé.