Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous avez vu cinquante fois la saison des pluies ! s’écria le nègre étonné en considérant attentivement l’Indien, dont le visage et les membres ne paraissaient pas accuser plus de trente ans.

— Pas encore, reprit Costal en souriant ; mais peu s’en faut, et j’en verrai cinquante autres encore : les présages m’ont dit que je vivrais l’âge des corbeaux. »

Puis, tandis que le nègre, dont la curiosité se trouvait excitée par la révélation qu’il attendait, l’écoutait avec attention, le tigrero continua, en décrivant avec son bras étendu un cercle qui embrassait les quatre points cardinaux :

« Dans tout l’espace que pourrait parcourir un cavalier entre le soleil qui se lève et le soleil qui se couche, de l’est à l’ouest, du sud au nord, il ne sortirait pas du pays dans lequel, pendant de longues années, avant que les vaisseaux des blancs n’eussent abordé sur nos côtes, les caciques zapotèques régnaient en maîtres souverains. Les deux mers qui baignent les rivages opposés de l’isthme de Tehuantepec étaient les deux seules bornes de leurs domaines ; des milliers de guerriers suivaient leur bannière et se pressaient derrière les plumes de leur panache de guerre. De l’Océan du nord à l’Océan du sud, les bancs de perles et les gîtes d’or leur appartenaient ; le métal que convoitent les blancs brillait sur leur armure et sur les sandales dont ils étaient chaussés ; ils n’en savaient que faire, tant ils l’avaient en abondance ! Que sont devenus les caciques de Tehuantepec, si puissants jadis ? Leurs sujets ont été massacrés par le tonnerre des blancs ou enfouis dans les mines, et les conquérants se sont partagé ceux qui ont survécu. Cent aventuriers sont devenus de puissants seigneurs en prenant chacun un lambeau des vastes domaines par eux conquis, et aujourd’hui le dernier descendant des caciques est réduit, pour subsister, à se faire l’esclave d’un maître, à exposer tous les jours sa vie pour détruire