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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/87

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leur course inverse devait les faire promptement se joindre ; mais à quel endroit ?

La distance entre eux diminuait de seconde en seconde. Le bruit, d’abord sourd et vague, se rapprochait de plus en plus et ressemblait à celui du tonnerre qui, après avoir grondé à l’horizon, vient, prêt à éclater, faire ses roulements au-dessus de nos têtes. La savane et les palmiers fuyaient toujours sous le galop du cavalier, sans que le clocher de l’hacienda se dessinât au-dessus de la ligne droite qui bornait sa vue. Cependant la masse menaçante des eaux n’apparaissait pas encore.

Le cheval ne ralentissait pas son allure ; mais ses flancs se gonflaient, il était tout haletant, et l’air, qu’il fendait si rapidement, ne s’engouffrait plus qu’avec peine dans ses naseaux. Quelques secondes de plus, et ce même air allait manquer à ses poumons. Le dragon s’arrêta un instant ; la respiration de son cheval semblait obstruée, et le bruit rauque de son haleine accompagnait lugubrement, aux oreilles de l’officier, la voix de plus en plus terrible des eaux qui s’avançaient.

Don Rafael écouta cette triste harmonie en désespérant presque de son salut, quand il lui sembla entendre le son précipité d’une cloche lointaine. C’était celle de l’hacienda, sans doute, qui jetait dans la campagne l’avertissement suprême du danger, en sonnant le tocsin.

L’officier se rappela ces paroles de l’Indien : « Ne songez qu’à ceux qui pourraient pleurer votre mort. » Y avait-il, dans l’hacienda où il était attendu, quelqu’un qui dût plus amèrement le pleurer que les autres ! Toujours est-il qu’à ce souvenir le voyageur se roidit contre le sort qui le menaçait, et se résolut à faire un dernier effort pour y échapper.

Cependant, pour le tenter avec plus de chance de réussite, son cheval avait encore besoin de quelques secondes de repos, et l’officier, malgré le péril qu’il courait, avait conservé trop de sang-froid pour mécon-