Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/90

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tier, saisissant la pointe sanglante du couteau, le tira violemment par la lame, entraînant le manche après elle. L’air sembla s’engouffrer dans les naseaux du cheval par l’ouverture béante qui venait d’y être faite.

« Maintenant dit-il, votre cheval pourra du moins courir tant que ses jarrets ne trahiront pas son ardeur ; si vous pouvez être sauvé, vous le serez.

— Votre nom ? s’écria don Rafael en tendant, la main au muletier ; votre nom, pour que je ne l’oublie jamais !

— Valerio Trujano, un pauvre arriero qui a bien du mal à faire honneur à ses affaires, mais qui s’en console en accomplissant son devoir et s’en rapportant à Dieu pour le reste. Mon devoir était de ne pas vous laisser périr ici faute d’un conseil ou d’un secours, ajouta-t-il simplement. À présent, que la volonté du Très-Haut soit bénie, notre vie est entre ses mains ; prions-le toutefois qu’il écarte loin de ses serviteurs le plus terrible danger qu’ils aient jamais couru. »

En disant ces derniers mots avec une effrayante solennité, Trujano s’agenouilla sur le sable, ôta son chapeau, qui laissa voir une forêt de cheveux noirs énergiquement bouclés ; puis levant les yeux vers le ciel et d’une voix dont les mâles accents retentirent jusqu’au fond du cœur de l’officier, il prononça les paroles suivantes :

De profundis clamavi ad te, Domine ! Domine, exaudi vocem meam !

Quand il eut achevé le second verset du psaume funèbre, tandis que le dragon resserrait fortement la sangle de son cheval pour engager une course suprême, le muletier se jeta en selle ; don Rafael en fit autant, et, penchés sur la crinière flottante de leurs chevaux, ils s’élancèrent ensemble le long de la savane. Le vent humide que renvoyaient les eaux débordées sifflaient dans leurs cheveux, et accompagné du son de la cloche, le bruit