Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/99

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prit Marianita. La journée, il est vrai, n’est pas trop longue pour se peigner, pour faire la sieste : à peine même en a-t-on le temps ; mais le soir, prêter seules l’oreille à la brise de nuit, se promener seules dans les jardins, c’est triste, bien triste, au lieu de chanter et de danser en tertulia[1]. Nous sommes ici comme les princesses captives de ce roman de chevalerie que j’ai commencé l’année dernière et que je n’ai pas fini… Ah ! j’aperçois là-bas à l’horizon un petit nuage de poussière… Enfin, voici un cavalier ! Que dicha !

— Un cavalier ! s’écria Gertrudis avec vivacité ; quelle est la couleur de son cheval ?

— Son cheval est une mule. Hélas ! ce n’est pas un chevalier errant. Je crois avoir entendu dire qu’il n’y en a plus. »

Gertrudis soupira de nouveau.

« Je le distingue, à présent, c’est un prêtre, poursuivit Marianita. Cela vaut mieux que rien, surtout s’il chante et joue aussi bien de la vihuela[2] que le dernier qui a passé deux jours à l’hacienda. Il arrive au galop de sa mule, c’est bon signe ; mais non, il a la physionomie triste et sévère. Ah ! il m’a vue, car il fait un geste de la main. J’irai la lui baiser tout à l’heure… j’ai le temps ! »

En disant ces mots, la jeune et belle créole, à qui son éducation prescrivait de baiser la main du premier prêtre venu, fronça d’un air boudeur ses deux lèvres fraîches et vermeilles comme la fleur du grenadier.

« Mais viens donc le voir Gertrudis, il se présente à la porte de l’hacienda, reprit-elle.

— J’ai le temps, comme tu le dis, Marianita ; mais dis-moi, ne vois-tu plus d’autres cavaliers ? Don Fernando ?… dit Gertrudis comme pour se tromper elle-même en trompant sa sœur.

  1. Soirée.
  2. Mandoline.