Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/139

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« Qui est celui, dit la voix, que les Indiens appellent l’Aigle des Montagnes-Neigeuses ?

– Qu’est ceci ? murmura Bois-Rosé surpris, et qui parle anglais parmi ces coquins ? »

Et, comme Bois-Rosé ne répondit pas, la voix reprit :

« Peut-être l’Aigle des Montagnes-Neigeuses ne comprend-il que la langue qu’on parle au Canada ? »

Et la voix répéta sa question en français. Bois-Rosé tressaillit.

– C’est pire encore que je ne pensais, continua le Canadien de manière que Pepe seul pût l’entendre ; il y a là quelque renégat de notre couleur.

– Un de ces coquins passé du blanc au rouge, dit Pepe par manière de sentence ; ce sont les plus enragés.

Que veut-on à l’Aigle ? demanda à son tour et également en français Bois-Rosé, en se rappelant le nom que lui avait donné l’Oiseau-Noir.

– Qu’il se montre, ou, s’il a peur de se montrer, qu’il écoute.

– Et si je me montre, qui me répond que je n’aurai pas à m’en repentir.

– Nous lui donnerons l’exemple de la confiance, répondit la voix.

– Que dit-il ? demanda Pepe.

– Que je me montre, et que je… »

Bois-Rosé demeura muet de surprise à la vue des deux figures étrangères qui se levèrent tout à coup sur le parapet en face de lui. Il venait de reconnaître deux hommes dont la sanglante et terrible renommée était non-seulement arrivée jusqu’à lui, mais que le hasard plaçait pour la seconde fois sur son chemin. La première lui avait été déjà bien fatale.

À l’aspect de ces deux hommes, un sentiment étrange, inconnu, douloureux, traversa le cœur de l’intrépide coureur des bois ; Fabian était là, et pour la première fois de sa vie, Bois-Rosé eut presque peur. Ses muscles