Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/140

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d’acier s’émurent, comme ces fortes lianes des forêts d’Amérique, que la brise ordinaire n’a jamais fait vibrer et qui tout à coup frémissent sous le souffle de l’ouragan.

« Main-Rouge et Sang-Mêlé ! Les reconnaissez-vous ? » dit-il à Pepe.

Pepe fit un geste d’affirmation. Il avait ressenti le même choc que Bois-Rosé.

« Ne vous montrez pas, s’écria-t-il ; c’est un jour de deuil pour tous ceux qui les rencontrent.

– Je me montrerai, reprit Bois-Rosé, car j’aurais l’air d’avoir peur ; seulement couvez de l’œil chaque feuille des buissons, et ne perdez pas un seul geste de ces deux démons amphibies. »

En disant ces mots, le Canadien déploya sur la plate-forme sa haute taille, droit et ferme comme le canon de sa carabine, et son regard clair, limpide et calme prouva que la peur était un hôte que son cœur ne savait pas abriter longtemps.

L’aspect de Main-Rouge était repoussant. C’était un grand vieillard sec, à la peau tannée et aux yeux hagards ; ses prunelles de grandeur inégale et comme constellées de taches de sang, son nez obliquement placé sur un visage anguleux, tous ses traits en un mot dénotaient en lui le scélérat accompli.

Ses longs cheveux blancs, jadis d’un rouge ardent, étaient relevés au sommet de la tête à la mode indienne et maintenus par des courroies de peau de loutre. Une espèce de blouse de chasse de peau de daim, relevée en broderies de diverses couleurs, descendait jusqu’à ses genoux et laissait voir des guêtres de cuir ornées d’une profusion de franges et de grelots. Ses pieds étaient chaussés de mocassins couleur vert olive, garnis de verroterie de toutes nuances.

Une couverture aux couleurs bizarres et tranchantes était jetée sur une de ses épaules. Une sangle de cuir serrait ses flancs évidés, et d’un baudrier rouge pendaient