Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/158

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à son aise un ennemi qui semblait n’être pas sur ses gardes, soit, ce qui est plus probable, pour se livrer à une de ces bravades extravagantes que les Indiens aiment parfois à faire, malgré leur apparence d’imperturbable gravité, et qui plaisent à leur courage, se montra tout entier sur le sommet du rocher. En effet, l’Apache brandit sa carabine sans tirer et poussa un hurlement d’insulte et de défi.

Mais à peine poussé, le hurlement s’acheva en un cri d’agonie : la balle du coureur des bois venait d’atteindre l’Indien. Sa carabine lui échappa des mains, et le guerrier lui-même, obéissant à l’une de ces impulsions étranges du corps humain quand la mort le surprend au milieu de sa force, fit deux bonds en avant et roula dans le val d’Or, d’où il ne bougea plus.

« Allons, dit Pepe, ça va bien : Bois-Rosé ne gaspille pas sa poudre. »

Bois-Rosé, pendant ce temps, s’était avancé en rampant jusqu’au milieu de ses deux compagnons, dont chacun pressa sa main en signe de félicitation et d’amitié.

« Le vagabond que voilà, dit Bois-Rosé, ne se doute pas qu’il est couché sur des monceaux d’or.

– Ah ! Bois-Rosé, reprit Pepe, il est douloureux de penser que tout cet or ne saurait nous servir plus qu’à lui, ni nous procurer un morceau à mettre sous la dent. Il est pénible surtout de conserver, au milieu d’une position aussi critique qu’est la nôtre, un appétit qu’on ne peut satisfaire.

– Songeons d’abord à sauver notre vie, dit gravement Bois-Rosé. Qu’importe la faim tant qu’elle ne troublera pas nos yeux et ne fera pas trembler nos bras ? Peut-être notre position n’est-elle pas désespérée. »

Le Canadien fit alors part, en quelques mots, à ses deux compagnons, des circonstances de la chute de l’Indien ; il leur dit comment l’ouverture d’un souterrain, qui semblait servir de communication entre le lac et