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Plus d’une fois on a vu des guerriers en embuscade et près de surprendre leur ennemi le laisser échapper ou se laisser surprendre eux-mêmes au milieu d’une partie d’osselets, jeu favori des Indiens et qui chez eux fait l’office des dés.

Ce fut à cette espèce de jeu que l’on confia le soin de désigner les trois guerriers sur qui, d’après les paroles du métis, la mort devait s’arrêter, et il fut convenu que ce seraient les trois qui amèneraient le moins de points.

Le fatalisme des Indiens ne le cède en rien à celui des Orientaux, et la mort ne les effraie que bien rarement. Chez cette race extraordinaire, la lâcheté est exceptionnelle.

C’était une de ces occasions graves et imposantes où l’Indien affiche toujours le plus complet stoïcisme. Ici surtout les guerriers de l’Oiseau-Noir se trouvaient en présence d’un blanc (ils se plaisaient à regarder le métis comme un de leur race), ils tenaient à montrer une fermeté d’âme inaltérable, au moment où ils allaient procéder à un acte solennel et terrible.

Assis à terre, les jambes croisées, tenant sur leurs genoux la redoutable carabine réservée pour la dernière scène de ce drame sanglant, dont le sacrifice de la vie de trois Indiens allait être l’ouverture, le métis et Main-Rouge s’apprêtaient à marquer les points.

Le premier qui vint tenter les chances du sort fut le Chamois. Sa main remua les osselets et les fit rouler sur le sable. Ses yeux noirs suivirent ardemment leurs évolutions ; mais aucun muscle de sa face n’avait tressailli.

« Vingt-quatre ! le métis après avoir compté, tandis que le renégat, quelque peu plus clerc que ses sauvages compagnons, inscrivait ce chiffre sur le sable.

Dans l’impossibilité de faire revenir les quatre Indiens qui gardaient la plaine, sans les exposer à une mort certaine et inutile, ils avaient été naturellement exceptés du tirage.