Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/168

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L’Américain fronça le sourcil, le métis plissa dédaigneusement les lèvres ; les Indiens firent entendre un sourd murmure.

Le guerrier suspendit sa main prête à lâcher les osselets, et, jetant autour de lui un regard triste et pensif :

« Il y a, dit-il, pour excuser sa faiblesse, il y a dans la hutte du Soupir-du-Vent une jeune femme qui n’y est que depuis neuf lunes, et le fils d’un guerrier qui ne voit aujourd’hui que son troisième soleil. »

Et l’Indien lâcha les osselets.

« Onze ! s’écria presque avec joie le vieux pirate, qui trouvait étonnant qu’on aimât sa femme et son fils.

– La douleur et la faim vont être les hôtes de la hutte du Soupir-du-Vent, » ajouta l’Indien d’une voix douce et musicale d’où lui venait son nom ; et il donnait ses dernières pensées aux deux êtres faibles à qui l’amour et la protection d’un guerrier allaient manquer à la fois.

L’Indien s’assit mélancoliquement à l’écart, et l’on ne s’occupa plus de lui.

Sang-Mêlé jeta du côté de son père un regard de triomphe et de supériorité auquel celui-ci répondit par un sourire de tigre en bonne humeur, car le sang allait couler sous ses yeux.

Comme, d’après le plan du métis, chaque sacrifice humain ne devait avoir lieu que l’un après l’autre, il fut convenu de laisser une seconde fois au sort le soin de désigner le tour de chacune des victimes. Le vieux forban semblait avide de prolonger les délicieuses émotions que ce jeu lui faisait goûter ; il avait été le promoteur de cette nouvelle décision du sort.

Ce fut au Soupir-du-Vent que demeura l’avantage ou, comme on l’aimera mieux, le désavantage de rester le dernier.

« Soyez tranquilles, enfants, dit l’Américain qui, par un reste d’orgueil que lui inspirait sa couleur, se piquait de ne pas employer dans ses discours les figures du lan-