Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/178

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ment le Canadien à Fabian ; Pepe est trop en face de lui pour l’atteindre facilement sans se découvrir. »

Fabian se recula vivement presque jusqu’au bord de la plate-forme, du côté de la chute d’eau, pour laisser à Bois-Rosé la liberté de ses mouvements.

« Cet homme, ajouta le Canadien, est frappé de démence ; voyez, il semble vouloir provoquer un coup de carabine en signalant sa présence. »

En effet, l’ennemi, dont on ne voyait que la main, agitait les buissons avec une persévérance ou bien malhabile ou bien perfide, car il était impossible de ne pas apercevoir la manœuvre.

« C’est peut-être quelque ruse de guerre pour attirer notre attention de ce côté, dit Pepe ; mais soyez tranquille, j’ai l’œil partout.

– Ruse ou non, reprit le Canadien, je l’ai là au bout de mon canon, et je pourrais d’ici lui briser le bras entre le pouce et le poignet. Reculez-vous encore, si c’est possible, Fabian, j’ai besoin d’obliquer un peu plus à gauche : car, si la main est là, son corps est plus loin. Bon, à présent je suis en position convenable.

Comme le Canadien achevait ces mots, le cri aigu d’un oiseau de proie sembla tomber du haut des airs jusqu’à l’oreille des chasseurs, et tout à coup l’Indien lâcha les buissons, et sa main disparut.

Il fut impossible à Pepe et à Bois-Rosé de se rendre compte exactement du cri qu’il venait d’entendre et de deviner si c’était un signal ou la voix d’un des milans qu’ils voyaient planer au-dessus de leurs têtes. Un coup de tonnerre, dont les Montagnes-Brumeuses répercutèrent l’explosion, mit en fuite toute la bande d’oiseaux.

Devant le terrible orage qui allait bientôt éclater, tous les êtres animés, saisis de crainte, cherchaient un abri. La terre elle-même semblait voiler sa face devant la voix qui sortait des nuages. Les hommes seuls restaient silencieux en attendant le moment de s’entr’égorger.