Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/198

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et dont ils jetteront la chair aux chiens errants des Prairies. »

Le Canadien continua sa course désespérée ; il rejoignit bientôt l’Espagnol. Les deux chasseurs, dans leur poursuite sans espoir, semblaient ne tenir aucun compte des difficultés du terrain ni des rochers glissants qu’il leur fallait escalader. À travers le rideau de pluie, Sang-Mêlé était toujours visible ; mais bientôt ils le virent franchir la crête des montagnes, et il ne tarda pas à disparaître sous les brouillards éternels qui les couvrent.

« Ah ! n’avoir pas un fusil ! s’écria Pepe en frappant la terre du pied avec rage.

– L’espoir de ma vie s’est éteint ! » s’écria le vieux coureur des bois d’une voix brisée, en reprenant haleine un instant, tandis que la-pluie du ciel inondait son front où se peignait une sombre et poignante douleur.

Tous deux recommencèrent à gravir les rochers, cherchant partout les traces de leurs ennemis : mais les flots de pluie qui tombaient avec une nouvelle force effaçaient l’empreinte à peine formée de leurs pas ; l’obscurité redoublait, car la nuit avançait rapidement, et le roc n’offrait aucun vestige humain.

L’Espagnol et le Canadien ne tardèrent pas à disparaître eux-mêmes sous le dais de vapeurs des montagnes.

Au-dessous d’eux l’ouragan mugissait dans la plaine, la terre semblait envahie par les esprits des ténèbres tout à coup déchaînés.

Tantôt le tonnerre grondait avec un fracas épouvantable ; tantôt la foudre pétillait comme les étincelles du bois embrasé, en frappant la cime des rocs qui s’écroulaient en poussière, et de longs éclairs enveloppaient de nappes de lumière le val d’Or et la pyramide du Sépulcre, désormais déserts. Des lueurs bleuâtres entouraient le squelette du cheval de la plate-forme et lui donnaient l’apparence d’un démon échappé de l’enfer et traînant après lui les flammes qui le dévoraient.