Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/213

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le mélange, qu’on n’aurait su dire si ces hommes ; chaussés de mocassins et vêtus de cuir, étaient des Indiens civilisés ou des blancs aux habitudes sauvages. Toutefois, la bizarrerie de leur accoutrement cessait promptement d’être plaisante ; car il en était peu de parties qui ne fussent souillées de traces de sang desséché. On aurait pu les prendre pour des bouchers sortant de l’abattoir, si leur air farouche, leur tournure sauvage et la dureté de leur visage hâlé, n’eussent indiqué pis encore que des bouchers.

Hâtons-nous de dire cependant qu’en dépit de ces apparences sinistres, un voyageur au courant des mœurs du désert les eût reconnus au premier examen pour ce qu’ils étaient réellement, des chasseurs de bisons se reposant des fatigues de leur profession au bord du lac.

À quelque distance de là, au milieu d’une petite clairière, des peaux encore fraîches séchaient au soleil, maintenues par des piquets, et répandaient dans l’air une odeur fétide dont les chasseurs avaient l’air de ne s’inquiéter nullement.

Le silence profond qui régnait aux alentours et sous les voûtes sombres de la forêt n’était de temps à autre interrompu que par les hurlements plaintifs d’un gros dogue presque enseveli dans l’herbe épaisse, et qui levait quelquefois la tête pour faire entendre ses aboiements de douleur.

Enfin, pour compléter un tableau dont le pinceau reproduirait mieux que la plume le pittoresque ensemble, dans le creux d’un gros chêne séculaire, qui étendait encore au loin ses branches vigoureuses, était suspendue une petite statue de bois grossièrement travaillée, représentant une madone. La statuette était ornée de fleurs fraîchement cueillies, qu’une main pieuse semblait renouveler chaque jour.

Un des chasseurs, agenouillé devant elle, récitait avec onction sa prière du matin.