Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On les a vus faire en quelques heures ce qu’avaient tenté vainement les Indiens autour de l’île flottante pendant un jour et une nuit, c’est-à-dire réduire à l’impuissance la plus absolue les deux meilleures carabines peut-être du désert, après eux. Ils étaient non moins à craindre et par leur incessante activité, et par la rapidité et la spontanéité de leurs mouvements, qu’on aurait dit être ceux des oiseaux de proie que leur vol transporte en un clin d’œil de l’un à l’autre horizon.

Tandis que tous deux se courbaient sur l’aviron, le canot remontait rapidement un espace où la rivière coulait entre une succession presque non interrompue de petites collines vertes, que, dans nos pays d’Europe, on aurait prises pour des tas de foin récemment fauché.

L’œil fauve et inquiet du vieux renégat blanc errait d’une rive du fleuve à l’autre, interrogeant avec sollicitude le plus petit accident de terrain, et se reportant ensuite avec une avide sollicitude sur la cargaison du canot.

« Eh bien, vieux coquin, dit le métis dans un moment où, pour redresser la marche de la barque, Main-Rouge nageait seul, apercevez-vous, à l’horizon quelque signe suspect ?

– Je ne vois que votre folie répondit l’Américain d’un ton chagrin, et quant au nom que vous vous plaisez à me donner, je ne vois que votre stupide orgueil. Qu’est-ce que c’est que le fils d’un chien ? un chien. Et le fils d’un coquin ?

– L’image de son père, répliqua Sang-Mêlé. Mais vous êtes plus coquin que votre fils, parce que vous avez commencé à l’être bien avant lui.

– Je n’en sais rien, fils d’un renégat blanc et d’une louve indienne, s’écria Main-Rouge avec colère. Quand vous aurez mon âge… Mais vous n’y arriverez jamais. »