Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/409

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qu’ils s’étonnassent de la distance qui semblait séparer le gué du sentier qu’ils venaient de quitter. Rosarita ne disait rien ; elle continuait ses rêveries commencées, que berçaient doucement le murmure des roseaux du fleuve, le cri des courlis pêchant dans les marais, et toutes ces voix matinales qui se font entendre le long des grands cours d’eau.

Le trappeur sembla vouloir charmer l’impatience des voyageurs qu’il guidait, et pour la première fois depuis quelques instants il rompit le silence.

« Ah ! c’est un industrieux animal que le castor, dit-il, et souvent, dans la vie de solitude et de dangers que mène un pauvre trappeur, j’ai passé de longs et tristes moments à les observer. Plus d’une fois, dans le calme des déserts, le bruit de leurs queues battant leurs petites constructions de pieux et d’argile m’a rappelé le son du battoir des lavandières des bords de l’Illinois, et j’ai poussé bien des soupirs en pensant à mon pays lointain.

– Vous êtes loin de votre pays ? dit Rosarita, que l’accent du trappeur avait émue dans l’un de ces moments où le cœur s’ouvre si facilement à la compassion.

– Je suis de l’Illinois, madame, répondit le trappeur d’un ton grave ; et il reprit sa marche. Tenez, écoutez-les, continua-t-il après un nouveau silence ; entendez-vous les bruits dont je vous parlais ? »

Les voyageurs purent entendre, en effet, des rumeurs éloignées, semblables à celles des battoirs sur le linge mouillé.

« Mais, poursuivit le trappeur, après avoir écouté lui-même avec attention, quand les castors travaillent ainsi, ils ne songent pas à se distraire et à mordre à mes trappes ; je vais les effrayer un peu pour les troubler. »

En parlant ainsi, le trappeur tira de sa poitrine, à peu de distance l’une de l’autre, trois notes graves, sonores, et qui firent tressaillir involontairement ses auditeurs.