Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/408

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– Quelque hableur, sans doute, comme il y en a tant, qui s’imaginent connaître les lieux qu’ils n’ont pas vus, mieux que ceux qui les fréquentent. Du reste, si Votre Seigneurie veut essayer de découvrir un autre gué que le seul qui existe, libre à elle… Je suis votre serviteur. »

Et l’inconnu, avec une complète insouciance, reprit son innocente distraction des ricochets sur la surface du fleuve, sans plus s’occuper des cavaliers.

« Encinas se sera trompé, dit le sénateur à don Augustin. Holà ! mon ami, cria-t-il au trappeur sur un geste de l’hacendero, nous nous rendons à votre avis et nous vous suivons.

– Vous faites bien, s’écria l’inconnu en suivant attentivement de l’œil le quatrième bond que faisait sur l’eau la dernière pierre qu’il venait de lancer. Je suis à vous. Par ici, » reprit-il, quand la pierre lancée par son bras vigoureux se fût enfoncée en sifflant dans le fleuve.

Le trappeur reprit alors sa démarche gauche, quoique rapide, et remonta le cours de la rivière, au lieu de le descendre, comme l’avait recommandé le chasseur de bisons dans ses instructions. Les voyageurs le suivirent.

« N’avons-nous pas vu cette figure quelque part ? dit l’hacendero à voix basse au sénateur ; je cherche en vain à me la rappeler…

– Où voulez-vous avoir vu ce rustre ? reprit Tragaduros du même ton ; c’est un de ces chasseurs moitié barbares, comme ceux que j’ai rencontrés un soir à la Poza.

– Vous en direz ce que vous voudrez, il y a sur ce visage comme un masque qui en déguise la véritable expression, je le parierais. À tout prendre, qu’importe ! »

Les promeneurs suivirent le trappeur en silence pendant quelques centaines de pas, non pourtant sans