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à former avec le Canadien et son compagnon un triangle dont il occupait le sommet.

« Il ne convient pas à l’accusé de s’asseoir en présence de ses juges, dit le seigneur espagnol avec un sourire amer. Je resterai donc debout. »

Fabian ne répondit rien.

Il attendait que Diaz, l’unique témoin à peu près désintéressé dans cette cour de justice, eût choisi la place qui lui convenait.

L’aventurier demeura éloigné, il est vrai, des acteurs de cette scène, mais assez près pour tout voir et tout entendre.

Il gardait l’attitude froide, réservée et attentive d’un juré qui va former sa conviction d’après les débats près de s’ouvrir sous ses yeux.

Alors Fabian reprit la parole :

« Vous allez savoir, dit-il, quel est le crime dont on vous accuse. Pour moi, je ne suis ici que le juge qui écoute, qui condamne ou absout. »

Après cette réponse, il sembla réfléchir.

Il devait avant tout constater l’identité de l’accusé.

« Êtes-vous bien, reprit-il enfin, don Antonio, que les hommes ont appelé ici comte de Mediana ?

– Non, reprit l’Espagnol d’une voix ferme.

– Qui êtes-vous donc ? continua Fabian avec un étonnement presque douloureux qu’il ne put cacher ; car il lui répugnait de croire qu’un Mediana eût recours à un lâche subterfuge.

– J’ai été le comte de Mediana, répliqua don Antonio avec un sourire hautain, jusqu’au moment où mon épée a conquis d’autres titres ; aujourd’hui on ne m’appelle en Espagne que le duc de l’Armada. C’est le nom que je pourrais transmettre à l’homme de ma race que j’adopterais pour mon fils. »

Cette dernière phrase, incidemment jetée par l’accusé, devait former tout à l’heure son unique moyen de défense.