Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/458

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des choses qu’un cœur ne saurait retrancher de ses souvenirs, comme peut le faire, dans sa route, le voyageur qui abandonne un bagage trop lourd à porter. »

Il y avait dans ces paroles de Bois-Rosé une intention qui échappait à Fabian. Était-ce un encouragement ? était-ce un reproche détourné ? Le Canadien devinait-il la vérité, et se résignait-il à n’occuper que le second rang dans le cœur de son fils ? Fabian ne sut se le dire : mais la plainte du vent du soir, qui semblait chargé des soupirs funèbres du champ de bataille, ne murmurait pas plus tristement sur la surface de l’étang que la voix du vieux chasseur.

« Il est encore jour, reprit Bois-Rosé, après un court silence. Voulez-vous que nous passions ensemble jusqu’au Lac-aux-Bisons ? Peut-être là… trouverons… »

Le coureur des bois n’acheva pas ; mais cette fois, Fabain avait compris, et sans voir, on est bien excusable à son âge, l’ombre douloureuse qui obscurcit tout à coup les yeux de son père adoptif :

« Partons, » s’écria-t-il vivement.

Le jeune homme impatient et le vieillard avec un soupir étouffé se mirent en route.

Le soleil commençait à s’incliner derrière les montagnes, dont les hauts sommets brillaient d’une clarté dorée, quand ils débouchèrent dans la plaine par le chemin creux.

Les grandes herbes qui la couvraient frémissaient au milieu d’un silence profond, au souffle de la brise du soir, et rien n’eût rappelé la bataille du matin, si de longues trouées, ouvertes dans la gigantesque végétation de la vallée, n’eussent laissé voir, à travers les brèches et au milieu des tiges écrasées, ici le cadavre d’un Indien, là celui d’un cheval, plus loin ceux du cavalier et du cheval couchés à côté l’un de l’autre.

Les deux compagnons de route marchaient silencieu-