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Le désert avait-il dévoré ces trois nobles existences comme il en a dévoré tant d’autres ? Semblables à ces religieux qui vont demander au silence du cloître l’oubli du monde, Fabian avait-il trouvé dans les pompes de la solitude l’oubli de la femme qui l’aimait et l’attendait toujours à son insu ?

Ce qui va suivre répondra pour nous à ces questions.

Par une chaude après-midi, deux hommes armés jusqu’aux dents suivaient à cheval la route solitaire qui conduit des dernières limites de l’État de Sonora au préside de Tubac. Leur costume, l’équipement grossier de leurs montures et la beauté de celles-ci formaient dans leur ensemble un contraste frappant et semblaient indiquer deux messagers subalternes envoyés par quelque riche propriétaire, soit pour porter, soit pour chercher des nouvelles.

Le premier était vêtu de cuir des pieds à la tête, comme les vaqueros des grandes haciendas ; le second, noir et barbu comme un Maure, quoique moins simplement habillé que son compagnon, ne paraissait pas d’une condition de beaucoup supérieure.

Pendant une route de quelques jours (les maisons du préside blanchissaient dans l’éloignement), déjà les deux cavaliers avaient probablement épuisé tous les sujets de conversation, car ils trottaient en silence à côté l’un de l’autre.

Le peu de végétation dont les plaines qu’ils traversaient s’étaient parées après les pluies de l’hiver jaunissait de nouveau sous le soleil, et l’herbe flétrie n’abritait que des cigales dont le chant aigre se faisait incessamment entendre sous le souffle embrassé du vent du Midi. Le feuillage des arbres du Pérou s’inclinait languissamment sur un sable brûlant, comme les saules aux bords des rivières.

Les deux cavaliers arrivaient à l’entrée du préside, quand la cloche de l’église sonnait l’Angélus du soir.