Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/492

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– Que Dieu ait son âme ! répéta don Augustin avec onction ; ce n’était pas une âme ordinaire que celle du noble don Estévan de Arechiza, ou plutôt, pour que tu le saches, enfin, Rosarita, de don Antonio de Mediana, de son vivant, marquis de Casarcel et duc de l’Armada.

– Mediana, dites-vous, mon père ? s’écria la jeune fille ; quoi ! ce serait donc son fils ?

– De qui parles-tu ? demanda don Augustin étonné. Don Antonio n’a jamais été marié. Que veux-tu donc dire ?

– Rien, mon père, si ce n’est qu’aujourd’hui votre fille est bien heureuse ! »

En disant ces mots, doña Rosarita jeta ses bras autour du cou de son père, appuya sa tête sur sa poitrine, et, l’inondant de ses larmes, elle se mit à sangloter. Mais ses sanglots n’avaient rien d’amer ; les larmes de la jeune fille coulaient doucement, comme la rosée que le jasmin d’Amérique laisse tomber le matin de ses cornets de pourpre.

L’hacendero, peu versé dans la connaissance du cœur féminin, ignorait la volupté que parfois les larmes font goûter aux femmes, et il ne comprenait rien au bonheur qui arrachait des sanglots à sa fille.

Il l’interrogea de nouveau ; mais elle se contenta de lui répondre, la bouche souriante et les yeux encore humides :

« Demain je vous dirai tout, mon père. »

L’honnête hacendero avait bien besoin, en effet, qu’on lui expliquât tout ce mystère dont il ne comprenait pas le premier mot.

« Nous avons un autre devoir à remplir, reprit-il ; le dernier désir que m’exprima don Antonio en se séparant de moi était de te voir mariée au sénateur Tragaduros. Ce sera obéir à la volonté d’un mort que de ne pas différer ce mariage plus longtemps. Y vois-tu quelque obstacle, Rosarita ? »