Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/499

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mon enfant, je vois encore l’eau qui bouillonne sur vous, l’écho me semble répéter encore le cri d’angoisse que je poussai. Quel impétueux jeune homme vous étiez alors !

– Et aujourd’hui, dit Fabian souriant tristement, je ne suis donc plus le même ?

– Oh ! non : vous avez aujourd’hui pris le front mâle et stoïque d’un guerrier indien qui sourit aux tortures du poteau. Devant ces lieux, votre figure est calme, et cependant, j’en suis sûr, les souvenirs qu’ils vous rappellent vous déchirent le cœur ; n’est-ce pas, Fabian ?

– Vous vous trompez, mon père, reprit Fabian ; mon cœur est comme ce rocher, où, quoi que vous en disiez, je ne vois plus la trace des sabots de mon cheval, et ma mémoire est muette comme l’écho de votre propre voix qu’il vous semble encore entendre. Quand, avant de me laisser retourner vivre à jamais loin des hommes dans le fond des déserts, vous m’avez imposé pour dernière épreuve celle de revoir tous les lieux qui pourraient me rappeler d’anciens souvenirs, je vous l’ai dit, ces souvenirs n’existent plus. »

Une larme vint mouiller les yeux du Canadien ; mais il la cacha en tournant le dos à Fabian pour remonter sur sa mule. Les voyageurs traversèrent le pont de troncs d’arbres.

« Retrouvez-vous ici sur cette mousse, sur cette terre, l’empreinte des pas de mon cheval quand je poursuivais don Estévan et sa troupe ? demanda Fabian à Bois-Rosé. Non ; les feuilles tombées des arbres dans le dernier hiver l’ont effacée, l’herbe de la saison des pluies a poussé sur elle.

– Ah ! si je voulais soulever ces feuilles, écarter ces herbes, je retrouverais ces traces, Fabian, comme si je voulais fouiller les replis de votre cœur…

– Vous n’y retrouveriez rien, vous dis-je, interrompit Fabian avec quelque impatience… Je me trompe,