Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/94

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vous, n’y mettez pas d’amour-propre et ne visez qu’en pleine poitrine : c’est moins flatteur, mais c’est plus sûr. »

Pendant que Bois-Rosé donnait cet avis avec le sang-froid et la précision d’un professeur en chaire, le bruit de la fusillade s’était éloigné de nouveau, et un quart d’heure ne s’était pas écoulé qu’elle avait cessé même de se faire entendre.

« L’air devient plus frais, reprit le Canadien ; la brise apporte avec elle une odeur de feuillée, et les chacals ont cessé de hurler : c’est signe que l’aube approche. D’ici à une demi-heure, il va falloir nous mettre en route ; le jour nous indiquera quel chemin nous devons suivre pour ne pas tomber juste au milieu des Indiens ; les traces ne doivent pas manquer. C’est une excellente heure pour les reconnaître que celle qui suit la venue du jour, car le terrain amolli par la rosée les conserve toutes. Mais avant, nous pouvons manger de nouveau pour prendre des forces. »

Et quelques instants s’étaient à peine passés que la sécurité la plus complète avait, par la force de l’habitude, remplacé l’appréhension chez ces hommes, qui, ne comptaient pour quelque chose que le danger présent. Pendant que le frugal repas, composé d’une poignée de pinole pour chacun, s’expédiait à la hâte, Fabian sentit que le moment était enfin arrivé de s’ouvrir de ses projets d’avenir à celui que la reconnaissance lui faisait regarder comme un père. Élevé dès sa plus tendre enfance dans un pays qu’il avait cru le sien, où le respect de la famille et de l’autorité paternelle subsiste encore dans toute sa sainteté primitive, le jeune comte de Mediana subissait malgré lui les conséquences de son éducation.

« Bois-Rosé ! mon père, » s’écria-t-il.

À cet appel, le chasseur tressaillit, puis, à une certaine solennité dans le geste, à quelque émotion dans la voix du jeune homme, il reconnut qu’il touchait à l’un