Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/95

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des moments suprêmes de sa vie, et son cœur battit plus violemment encore qu’à l’approche du péril qui venait de les menacer. Pepe sentit aussi qu’il pouvait être de trop et s’éloigna discrètement de quelques pas.

« Mon père, répéta Fabian, car ce nom me sera toujours doux à prononcer, vous avez vécu dans les grandes villes d’Europe et dans nos déserts, et vous êtes à même d’apprécier la différence des unes avec les autres.

– Oui, répondit Bois-Rosé, pendant cinquante ans de ma vie j’ai pu comparer la pompe des villes à la magnificence des déserts.

– Ce doit être un beau spectacle que ces grandes cités où se pressent des milliers d’hommes, que ces palais élevés à côté les uns des autres ; on est heureux de pouvoir y vivre, n’est-ce pas ? car un jour ne doit jamais ressembler à celui qui l’a précédé.

– C’est en effet bien beau, répondit ironiquement le chasseur, que ces grandes rues dans lesquelles la foule affairée vous coudoie sans cesse, et dans lesquelles le bruit des voitures vous assourdit ; que ces maisons où l’air et la lumière que Dieu prodigue dans les déserts vous sont parcimonieusement mesurés, où le pauvre meurt de misère sur son grabat au bruit des fêtes des riches, où… »

Bois-Rosé s’arrêta court ; il comprit tout à coup qu’il faisait fausse route, et que c’était étouffer sur les lèvres de Fabian l’offre qu’il en attendait d’y partager la vie avec lui. Il est si naturel d’espérer ce qu’on désire ardemment ! Le chasseur s’interrompit donc, et il ajouta sans transition : « Pour ma part, je serais bien heureux d’y finir ma vie. »

Aux dernières paroles de Bois-Rosé, Pepe fit entendre une toux formidable.

Fabian croyait avoir mal entendu.

« Alors, reprit-il, la vie des déserts a donc perdu ces charmes que vous vantiez ?