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Page:Gabriel Tarde Fragment d'histoire future 1896.djvu/15

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évanouissement analogue du soleil l’avait produite, et bien des espèces animales trop peu vêtues ont dû périr alors. Ce n’avait été là pourtant qu’un coup de cloche pour ainsi dire, un simple avertissement de l’attaque finale et mortelle. Les périodes glaciaires — car on sait qu’il y en a eu plusieurs — s’expliquaient maintenant par leur réapparition agrandie. Mais cette élucidation d’un point obscur de géologie était, il faut l’avouer, une compensation insuffisante aux malheurs publics qu’elle coûtait.

Quelles calamités ! quelles horreurs ! ma plume s’avoue impuissante à les retracer. D’ailleurs, comment raconter des désastres si complets qu’ils ont le plus souvent fait périr ensemble tous leurs témoins jusqu’au dernier sous des amoncellements de cent mètres de neige ? Tout ce que nous savons de certain, c’est ce qui s’est passé alors vers la fin du xxve siècle, dans un petit canton de l’Arabie Pétrée. Là, s’étaient réfugiés, invasions sur invasions, flots sur flots, congelés les uns sur les autres à mesure qu’ils s’avançaient, les quelques millions d’hommes qui survivaient aux milliards d’hommes disparus. L’Arabie Pétrée, avec le Sahara, est donc devenue alors le pays le plus peuplé du globe. On y a transporté à raison de la chaleur relative du climat — je ne dis pas le siège du gouvernement, car, hélas ! la Terreur seule règne — mais un immense calorifère qui en tient lieu et ce qui reste de Babylone recouverte par un glacier. Une ville nouvelle s’est construite en quelques mois sur des plans d’architecture tout nouveaux, merveilleusement adaptés à la lutte contre le froid. Par le plus heureux des hasards, on a découvert sur place des mines abondantes et inexploitées de charbon de terre. Il y a là, ce semble, de quoi se chauffer des années nombreuses ; et, quant à l’alimentation, il n’y a pas encore trop à s’en préoccuper. Les greniers gardent quelques sacs de céréales en attendant que le soleil se ranime et que le blé se remette à pousser… Le soleil s’est bien ranimé après les périodes glaciaires ! Pourquoi pas de nouveau ? demandaient les optimistes.

Espoir d’un jour ! Le soleil devient violacé, le blé congelé cesse d’être mangeable, le froid se fait si fort que les murs des maisons, en se contractant, se lézardent et donnent passage à des courants d’air qui tuent net leurs habitants. Un physicien affirme avoir vu des cristaux d’azote et d’oxygène solidifié tomber du ciel, ce qui donne à craindre qu’avant peu l’atmosphère ne se décompose. Les mers sont déjà solides. Cent mille hommes pelotonnés en vain autour u grand poêle gouvernemental qui ne parvient plus à rétablir leur