Page:Gabriel de Lautrec - Poemes en prose.djvu/182

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Le deuxième cigare s’éteignit, comme il convient dans une nouvelle bien construite. On le ralluma et chacun se pencha pour écouter :

— Je me suis occupé vingt ans d’études patientes sur l’âme et le corps humain. J’ai observé les dernières convulsions des suppliciés par les matins froids et les cieux couverts. J’ai vu mourir des malades et j’ai noté toutes les lignes essentielles que le spasme de la mort écrit sur les visages. J’ai passé des nuits à examiner le mystère déconcertant de la vie humaine, tenant sous la loupe, de mes mains et de mes yeux fatigués, des cerveaux diminués par l’alcool, et suivant, comme un voyageur, les circonvolutions et les sillons effrayants où cheminent les démons lumineux ou tristes qui sont nos pensées. Et je ne sais si la conscience, cette âme de l’âme, quitte le corps ou meurt avec lui, ni ce qu’il advient de nous quand se séparent les lambeaux de chair qui protégeaient contre les yeux livides du néant la nudité de notre âme épouvantée. Ce que j’ignore nul ne le sait. Si des secrets lamentables sont cachés sous ce voile indéchirable, qui le dira ? Nos idées de gloire et notre vain désir d’exister sont peu de chose, comparés à la logique implacable qui doit régir l’univers. Et peut-être que la formule sublime des mystères et des religions, le verbe de la vie future et de l’infini, pour lequel se sont mis à genoux tous les poètes, tous les croyants, peut-être que ce mot du tabernacle,