Page:Gabriel de Lautrec - Poemes en prose.djvu/185

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mes membres glisser les uns sur les autres avec un mouvement visqueux ; en même temps je respirais une odeur fade d’alcool ; devant l’étrangeté de mes sensations la pensée aiguë me vint tout à coup sans doute que j’étais mort, et que, de mon corps détruit par le mouvement universel des choses, il n’était resté qu’une partie quelconque dans laquelle ma pauvre âme tout entière avait dû se réfugier. Et mélancoliquement je songeai que c’était peut-être mon crâne qui me survivait. Je ne fus pas trop malheureux, me disant que je pourrais, qui le sait, dans quelque cellule de moine, retrouver le calme subtil d’autrefois. Et je pensai que c’était peut-être ma main qui me survivait. « Oh ! que ma main soit demeurée seule intacte, et que vivant toute pour toute ma chair disparue, elle essaye de consoler mon âme de la perte de ce triste corps ! Voici que je n’ai plus les lèvres qui me permettaient de dire à celle que je sais trop, les sonnets que me dictait son impériale beauté : voici que j’ai vu s’éteindre mes yeux dont elle était la plus chère gloire ; mais peut-être ma main pourra suppléer aux lèvres mortes comme aux yeux anéantis. Il me suffit, pour me consoler de pouvoir encore tracer les lettres caressantes de son nom ! »

Cependant le pharmacien racontait à ses invités une opération à laquelle il avait assisté quelques jours auparavant. Le sujet était mort d’une de ces maladies, dont le nom très rare évoque des mutila-