Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/12

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les châtaigneraies et ébranlait la masure. La neige, tombant à flocons pressés, hâtait la nuit.

Une chambre unique servait de cuisine, de dortoir, de cave, de grenier et d’étable à la famille qui l’habitait. La seule richesse de ces malheureux, c’était une chèvre efflanquée couchée dans un coin.

Un feu de bois mort glané la veille dans la forêt, un feu parcimonieux, jetait une clarté rougeâtre qui rendait encore plus triste le jour blafard.

Dans leurs châssis vermoulus, les vitres tremblaient, laissant passer le vent. Deux carreaux cassés étaient masqués par des haillons.

Cet antre, dont on ne saurait peindre la couleur sombre et la misère sordide, était habité par Jacques Bordier, sa femme et ses cinq enfants, cinq filles, dont l’aînée n’avait pas neuf ans.

L’enfance, si gracieuse avec ses joues roses, ses rires naïfs et ses yeux candides, qui laissent voir l’âme à fleur du regard, se présentait là repoussante, presque hideuse. Ces enfants, c’étaient des animaux humains grouillant dans l’immondice. Et cependant de ces visages barbouillés et comme hébétés il jaillissait parfois des éclairs d’intelligence ; on devinait, sous cette couche de malpropreté, des formes qui peut-être eussent été exquises, si déjà la souffrance ne les eût flétries.

Jacques Bordier, accoudé sur une table, était pensif. Sa figure énergique, presque sauvage, exprimait à la fois l’amertume et l’abattement.

Une bouteille était devant lui. Fréquemment il emplissait son verre et buvait une gorgée de genièvre.

Sa femme, étendue sur un misérable grabat, de temps à autre faisait retentir la cabane de cris déchirants.