Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/17

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Ah ! le malheur s’acharne après moi. Un garçon serait venu, ça m’eût donné du courage. Je me serais dit : « Eh bien ! si tu le nourris maintenant, plus tard il te nourrira. » Mais des filles, que voulez-vous que j’en fasse ? Les envoyer à Lyon ou à Saint-Étienne ? Ah ! on sait ce qu’elles deviennent là-bas… La honte, quoi ! ou la misère, et plus souvent encore toutes les deux à la fois. Ça, c’est l’avenir. Pour le moment, si ce temps-là se prolonge, il faudra que je parte avec mon aînée, une besace sur le dos. Moi, Jacques le terrassier, qui ai toujours gagné mon pain et porté la tête haute, j’irais frapper à toutes les portes, essuyer les rebuffades et le mépris, et peut-être m’entendre traiter de paresseux ! Est-ce bien possible ? Il le faut, pourtant. Les petites ont mangé ce soir le dernier morceau de pain. Ah ! tous les riches ne vous ressemblent pas, mademoiselle ! Vous me croyez, vous, parce que vous avez bon cœur ; mais combien penseront que je les trompe pour avoir quelques sous ! »

Mlle Borel écoutait Jacques avec une émotion grave et contenue.

« Mon ami, dit-elle simplement, voulez-vous me confier votre dernière fille ? je l’adopterai. Je ne veux point vous faire l’aumône. Venez demain à la maison, je vous donnerai du travail.

— Oh ! merci, mademoiselle ! s’écria Françoise en pleurant.

— Vous ne me devez aucune reconnaissance, repartit la jeune fille. J’ai un travail très-pressant à faire exécuter dans la serre, et Jacques m’obligera au contraire de vouloir bien s’en charger.

— J’irai demain, mademoiselle, dit le terrassier, si ému que sa voix tremblait.