Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/16

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— Ah ! mademoiselle, que vous êtes bonne ! » soupira Françoise.

Jacques essuyait ses larmes à la dérobée, et son visage trahissait l’embarras.

« Voyez, mademoiselle, dit la mère Michu, qui venait d’envelopper l’enfant dans des langes propres, la belle petite fille ! Et Jacques qui se désespère !

— Combien donc avez-vous d’enfants ? demanda Mlle Borel en se tournant vers Bordier.

— Je n’ai pas d’enfants, je n’ai que des filles. »

Mlle Borel ne releva point cette singulière réponse, qui ne parut pas même la surprendre.

Le paysan, en effet, ne considère que la force. Comme il n’a d’autre richesse que ses bras, la naissance d’un garçon qui pourra l’aider dans ses travaux, c’est dans l’avenir une augmentation de bien-être ; mais la naissance d’une fille, c’est plutôt, en perspective, un accroissement de pauvreté.

« J’ai maintenant six filles, reprit-il avec un rire sardonique. Six filles ! Et cette baraque est toute ma fortune. On pioche, n’est-ce pas, comme des galériens tout le long du jour : les galériens, eux, sont nourris ; pour nous, il n’y a pas toujours du pain noir sur la planche. Jamais de vin, ni de pitance ; à peine buvons-nous de mauvaise genevrette[1]. Nous couchons sur la paille comme des animaux ; pour vêtements, nous avons des guenilles. Mais encore j’ai beau suer à la peine, je ne puis gagner pour sept, pour huit maintenant. D’ailleurs il faut trouver de l’ouvrage. Si la neige, la pluie, la glace, la maladie suspendent la besogne, que devenir ?

  1. Boisson qu’on fait dans les montagnes avec le genièvre.