Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/85

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cœur de mon Lionel en particulier pour m’abuser sur sa fidélité. Je ne suis plus une ingénue. Si je vous disais que j’ai vingt-neuf ans, vous souririez, n’est-ce pas ? et dans votre for intérieur vous m’en donneriez au moins trente-neuf. J’ai donc encore du bénéfice à être sincère, puisque je n’en ai que trente-sept. Or, à trente-sept ans, on a quelque expérience, et l’on sait ce qu’il faut croire de toutes ces comédies sentimentales entre amants qui depuis trois ans déjà se jurent une fidélité éternelle.

— Où veut-elle en venir ? se demandait Lionel avec perplexité. Ménage-t-elle une rupture ? Non, puisqu’elle n’accuse que trente-sept ans. Voudrait-elle m’éprouver ? Tenons-nous ferme.

— L’amour n’a pas d’âge, répliqua-t-il. C’est toujours un enfant. Mais c’est à tort qu’on le représente avec un bandeau sur les yeux. L’amour est très-clairvoyant au contraire, puisqu’il découvre dans l’être aimé des perfections inaperçues par le vulgaire.

— Tiens ! c’est assez joli ce que vous dites là.

— À voir cette petite main potelée, reprit-il en la baisant, d’une blancheur nacrée et rose en dedans comme une coquille, à voir ces yeux toujours si lumineux et si tendres, et ces dents éclatantes, et vos lèvres vermeilles, qui peut songer à s’inquiéter de votre âge ? Et celui qui a eu le bonheur d’être distingué par vous, peut-il se demander depuis combien de temps il vous aime ? Auriez-vous donc découvert quelque langueur dans mon amour ? Et tenez, tout à l’heure encore, j’éprouvais toutes les fièvres de l’attente. Avez-vous jamais eu un fervent plus soumis, plus respectueux ? Car je vous respecte, Lucrèce. »

Lucrèce écoutait Lionel, le regard attaché sur les ara-