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Lucien put, par un hublot, contempler la terre qui peu à peu devenait plus vague pour disparaître dans la brume. Adieu, Europe ! murmura-t-il.

En route pour le Nouveau Monde, pour l’avenir ou la mort !

Pendant les premiers jours d’embarquement Lucien avait été en proie au malaise habituel du mal de mer mais de crainte que sa supercherie ne fût découverte il s’était abstenu de toute nourriture. Après quatre jours de jeûne et surtout parce que son estomac le tiraillait fortement il se décida à prendre quelques aliments.

Le plus mauvais endroit pour les novices de la mer, le Golfe de Gascogne, était franchi depuis longtemps.

La mer devenait plus calme à l’approche des tropiques. Deux jours après le départ de Lisbonne il commençait à avoir un grand appétit au point que la ration journalière ne lui suffisait plus.

Aussi le voyait-on, après les repas des officiers et passagers, rôder autour des cuisines où moyennant quelque menue monnaie il pouvait obtenir quelques friandises pour relever sa portion de marin.

Dix jours s’écoulèrent encore ainsi. On approchait du Para. Pour se convaincre de l’assertion qu’il avait lue que pendant plusieurs lieues en mer l’eau était douce, due à l’apport considérable de l’amazone, il attacha un seau à une corde et puisa dans la mer. L’eau qu’il dégusta n’était pas positivement douce mais elle n’était pas salée non plus.

On pouvait se baser sur une moyenne de cinquante pour cent de chaque espèce. Je suis encore loin du Para dit Lucien.

Peut-être que dans une heure ou deux elle sera plus douce.

Deux heures après il recommença son expérience.

Cette fois il parvint à ramener de l’eau douce tout à fait. Nous approchons, se dit-il.

Effectivement peu après, le pilote du Para accostait le vapeur pour le conduire au port.

Malheureusement pour Lucien son tour de travail arrivait et il dut redescendre aux machines.

Quand il remonta il faisait nuit. Le lendemain matin il put contempler le départ du steamer qui, laissant l’île de Marajoo à gauche, s’élançait vers Rio de Janeiro, l’escale de Peonambuco ayant été supprimée pour cause d’épidémie.

Cinq jours après il se trouvait en rade de Rio et pouvait admirer le magnifique panorama qui se présentait à ses yeux.

La ville, les quais, se trouvaient de plein pied mais là-haut sur les collines on avait fait une nouvelle ville, la vraie capitale celle-là.

C’était dû aux conseils éclairés des médecins que l’empereur Dom Pedro s’était décidé à transporter ainsi la ville. Du coup la fièvre jaune,