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le vomito négro et toutes les épidémies qui ravageaient la ville de Rio avaient presque disparu.

Lucien aurait bien voulu aller faire un tour à terre mais la consigne était sévère à bord.

Aucun homme ne pourrait débarquer avant Buenos Ayres à cause de la quarantaine à faire.

La prochaine escale ce fut Montevideo, le grand port du Paraguay. Ensuite on pénétra dans le Rio de la Plata vers Buenos Ayres qu’on atteignit vers quatre heures du matin. Lucien venait justement de finir son quart. Sans aller se coucher, comme c’était son droit jusqu’à midi, il s’empressa de se débarbouiller et de changer d’effets. Ensuite il demanda la permission au chef mécanicien de débarquer. Dès qu’il l’obtint il attendit que tous les voyageurs et bagages fussent débarqués puis à son tour il sauta sur le quai.

Il faillit même tomber car habitué déjà au roulis du bateau il ne parvenait pas à marcher d’aplomb.

Petit à petit il s’y habitua en marchant doucement. Comme il était à peine cinq heures du matin il y avait peu de mouvement sur les quais.

Il s’en alla droit devant lui vers la ville qu’il apercevait au loin. Comme il connaissait la langue du pays et qu’il savait Buenos Ayres sillonnée de tramways électriques il ne craignit pas de s’y aventurer.

Ce qui le choquait le plus c’était les enseignes des maisons de commerce. Les trois quarts de celles-ci étaient italiennes. Par-ci, par-là, une enseigne à terminaison anglaise, allemande ou française mais c’était l’exception.

Avec leur émigration à outrance, pensa Lucien, ces pays sont en train de se cosmopoliser au point que l’élément indigène disparaît de plus en plus.

Est-ce un mal, est-ce un bien ? L’avenir seul pourrait le dire. Les premiers tramways commençaient à rouler. C’était l’heure où les ouvriers d’usine se rendaient à leur travail. Lucien se mit à les observer. L’élément indigène, c’est à dire l’argentin natif, métis d’indien et d’espagnol, dominait. On sentait que l’européen négligeait ces sortes de travaux, ne recherchait que le commerce ou l’industrie où les salaires sont plus élevés. Lucien pénétra dans un bar genre anglais, où debout devant le comptoir, ils dégustaient leur café ou avalaient leur verre de rhum. Il put ainsi entendre ce qu’ils disaient. Ils parlaient politique. C’est dimanche, disait l’un d’eux, que Sébastien Faure, le grand anarchiste français vient donner un meeting au parc de Belgrano.

— Oui, dit un autre, mais il paraît que la police veut interdire la réunion.

— On se passera de sa permission dit le premier. Si elle nous fait