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violence j’ai quelque chose dans ma poche qui lui donnera à réfléchir.

— Bien parlé, dirent les autres. En avant pour l’Internationale.

Lucien sortit du bar. Je crois que la civilisation pour ces gens-ci n’a pas été un bienfait se dit-il. Ils en ont pris le plus mauvais côté, la haine des classes ! Que ne sont-ils demeurés dans leur pampas, au milieu de leurs troupeaux. Il a fallu qu’ils viennent dans la grande ville où leurs imaginations frustes ont tout de suite été accaparées par les discours des prêcheurs de haine ! Lucien continua son chemin parmi les longues rues, les larges avenues. Sauf la hauteur des maisons qui, en général, ne dépassaient pas deux étages, tout indiquait la grande, la très grande ville, car Buenos-Ayres, avec ses extensions, dépasse Paris comme périmètre.

Six heures sonnaient quand Lucien atteignit la chambre des Représentants. Il contempla longtemps ce magnifique bâtiment puis continua son chemin.

En cours de route il vit un bureau de poste ouvert. Il y entra et écrivit à son ami Jules lui annonçant son prochain départ pour Valparaiso et Callao.

À sa sortie il vit un tramway arrêté qui se dirigeait vers Belgrano. Il y monta et quelques minutes plus tard il se trouvait à destination. Ce parc comprend, outre le bois, une collection zoologique assez importante. C’est le point le plus fréquenté de la ville les dimanches et jours de fêtes.

En semaine c’est la promenade favorite des désœuvrés et du monde élégant.

Lucien s’assit sur un banc d’où on pouvait apercevoir plusieurs avenues à la fois et se mit à fumer un cigare. Vers huit heures du matin commencèrent à arriver les amazones et cavaliers venus pour faire leur promenade équestre. Vers neuf heures les automobiles de maître commencèrent à affluer, la plupart ne contenaient que des nourrices avec des enfants, des gouvernantes, mais presque pas de maîtres. C’est encore trop tôt pensa Lucien.

Vers onze heures seulement arrivèrent les premières voitures conduites par leurs propriétaires ou leurs chauffeurs.

Toutes faisaient quelques tours puis stoppaient devant l’un ou l’autre café élégant.

Je voudrais bien savoir ce que boivent ces gens-là se dit Lucien. Comme ses effets étaient présentables il entra dans un café des plus select et s’assit.

Regardant autour de lui, il ne vit que des verres de vermout, de cock-tail, de champagne même, mais rien d’autre. Il commanda donc un cock-tail.

Tous ces gens ne font qu’imiter les européens. Ils n’ont saisi dans la civilisation que ce qui flattait leurs goûts, leurs désirs. Et dire qu’en