Page:Gaillard - Dans un monde inconnu, 1916.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 9 —

il la laissa dans un restaurant puis alla faire un tour du côté des grands transatlantiques voir comment s’opéraient les arrivées et départs de ceux-ci.

Justement il y avait deux arrivées importantes. Une du « Vaderland » de la Red Star Line et un autre « Kambyses » de la Kosmos Line.

Dans la première il ne vit rien d’extraordinaire : des voyageurs, habillés à la mode européenne, des teints pareils aux nôtres, rien que la langue comme différence. Mais l’arrivée du « Kambyses » l’intéressa davantage. Tout le pont et l’entrepont étaient obstrués par de grandes cages grillagées. De l’intérieur de celles-ci partaient des rugissements et des cris variés d’animaux. Il y avait là toute une cargaison de fauves destinée aux grandes ménageries de Hambourg.

En outre des gardiens accompagnaient la cargaison. Ceux-ci étaient originaires des mêmes contrées que les bêtes.

Il y avait des gauchos de l’Argentine, des indiens de la Terre de Feu, des Patagons, des Araucans, des Indios Bravos du Chili, de la Bolivie, du Pérou, du Brésil. C’était un vrai musée ethnographique vivant. Lucien demanda la permission de monter à bord. Dès qu’il l’obtint il se dirigea vers les cages. Comme le temps était beau elles étaient visibles. Tour à tour il passa en revue les divers animaux depuis le python jusqu’à la plus minuscule vipère, depuis le jaguar, puma et autres carnassiers jusqu’à la tortue géante des îles Galapagos.

Il ne pouvait s’éloigner d’elles tant cela l’intéressait. Dire, pensait-il, que je devrai affronter tous ces animaux en liberté ! Que ce python somnolent profitera peut-être de mon sommeil pour enrouler ses vertèbres autour de mon cou ! Que ces jaguars, ces pumas bondiront à l’improviste sur moi et laboureront mes chairs de leurs griffes acérées.

Que ces caïmans aux allures inoffensives surgiront de l’onde pure d’une rivière au moment où je prendrai un bain et happeront qui un bras, qui une jambe !

Bah ! finit-il par se dire, ce n’est pas parce que j’entrevois les périls que je devrai renoncer à mon entreprise. Au contraire plus le danger sera grand plus je me réjouirai de l’avoir vaincu.

Et si je succombe, ma foi, tant pis ! On ne meurt qu’une fois ! Sur ces mots il quitta le bateau et se dirigea vers l’endroit où il avait laissé sa valise. Comme il était quatre heures il commanda du café, des tartines beurrées, puis s’attabla.

Quand il finit son goûter il était quatre heures et demie. Après avoir réglé sa dépense il se dirigea vers le hangar, prit son ticket pour Londres, via Harwich, puis monta à bord.

Une heure après seulement commencèrent à arriver les voyageurs.