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JE SAIS TOUT

Il s’arrêta a la porte un moment, en souriant doucement, puis passa derrière Caleb, le corps plus douloureusement penché que jamais ; et la porte se referma sur eux.

Un silence suivit leur départ. Donald Brett resta debout regardant le feu tristement en frappant les chenêts de ses pieds. Ella Tarraut, après l’avoir interrogé des yeux, vint à lui.

Donald se retourna vivement, un sourire éclaira son visage ; il lui prit la main qu’il retint dans les siennes.

— Il ne faut pas vous laisser frapper par toutes les horreurs qu’ils vous ont dites, ça ne vaut pas la peine d’y penser.

— Oh ! je suis si fâchée, dit-elle, si fâchée si je vous ai fait du tort, monsieur Brett. Mais, papa m’a dit un jour que Caleb avait été son pire ennemi.

— Alors, il est le mien.

— Pourquoi ? demanda-t-elle en souriant innocemment.

— Oh ! je suis sûr que vous le savez, fit-il en rougissant. Celui qui vous fait du mal m’en fait. J’espère que vous me comprenez, ajouta-t-il avec un peu d’embarras.

— Vous êtes bien bon de le dire, répondit-elle. Et vous ne pensez pas que je changerai et que je serai moins votre amie parce que vous êtes pauvre, monsieur Brett ?

Il la regarda, grave et ému.

— Oh ! vous savez bien que je ne le pense pas. Nous serons toujours bons amis tous deux.

— Toujours bons amis, dit-elle joyeusement.

Et, comme ils se tendaient les mains, toute la chaleur de leur jeune âme courageuse étincelait dans la pureté de leurs regards.


CHAPITRE IV

Un regard sur Taterley et une tragédie.


Caleb Fry, accompagné de son parent qui marchait à côté de lui, toujours incliné avec une déférence pleine de sympathie, traversa les limites du Temple pour pénétrer dans le fracas de la Cité. Là, Caleb s’arrêta sur le bord du trottoir et, faisant face à son compagnon :

— Je me suis détourné de mon chemin, cousin Hector Krudar, dit-il, pour venir ici cet après-midi. J’ai négligé mes affaires, j’en ai été mal récompensé. Ce petit idiot m’a vu pour la dernière fois. Je rentre chez moi, j’ai quelque chose à faire avant de me coucher.— Il se contint et regarda le cousin d’un air soupçonneux.

— Voilà où nous nous quittons, dit-il brusquement, les mains dans ses poches comme pour empêcher une possibilité d’effusion.

— Je regrette bien ce qui s’est passé aujourd’hui, fit le cousin Hector d’un air pensif, la tête penchée de côté. Je suis toujours fâché de voir un jeune homme ne pas comprendre le côté pratique de la vie et gâcher ce qu’elle a de mieux. Je suis moi-même pratique : j’ai toujours essayé de tirer les prunes du gâteau de la vie. Si je n’y arrive pas, ce n’est pas ma faute, sans doute, je laisse trop voir mon jeu.

— Sans doute, répondit Caleb durement.

Il lui fit un salut sec et traversa la rue, le cousin toujours à ses côtés.

Caleb Fry était d’une humeur étrange. Dans sa vie, habituellement réglée comme du papier à musique, consacrant un nombre d’heures fixes à de certaines occupations, Caleb ne se donnait pas souvent le luxe d’une colère.