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JE SAIS TOUT

Caleb était une demi-heure en avance sur son heure de rentrée habituelle et Taterley, entendant son pas et sa voix en même temps que celle d’un étranger, sortit tremblant et hésitant, la face un peu effarée, de sa lugubre retraite et le vit gravissant les dernières marches. À l’endroit où il se trouvait, la lumière d’une petite fenêtre tombait sur lui. Hector le regarda avec attention.

— Ce n’est que mon domestique, murmura Caleb, puis il ajouta à voix haute : « Eh bien, Taterley, qu’est-ce que vous avez ? Vous avez vu un fantôme, eh ? »

— Vous êtes en avance, dit Taterley en s’effaçant contre le mur pour les laisser passer.

— Oui, dit Caleb grognon, mais cela n’est pas votre affaire, je dînerai à la même heure. Ne restez pas à nous regarder comme des chiens de faïence.

Taterley disparut et Caleb emmena son visiteur.

— Mon dîner sera servi dans dix minutes et je dîne toujours seul. Le cousin Hector serra dans les siennes sa froide main et la secoua en disant :

— J’aime la franchise, dit-il, j’espère que nous nous reverrons.

— Je ne le crois pas, fit Caleb froidement. Je ne vois personne que pour affaires. Bonsoir.

— Bonsoir, dit Hector. Et adieu, à moins que nous ne nous rencontrions par hasard.

— Ce qui n’est guère probable, répondit Caleb.

Une fois dans la rue, le cousin Hector releva la tête, mit ses mains dans ses poches et se mit à rire silencieusement en se disant à lui-même, d’un air très satisfait :

— J’ai fait un bon travail cet après-midi. Il va refaire ce testament ce soir. Enfin, nous verrons.

Ce soir-là, Caleb Fry expédia son dîner et se fît desservir rapidement. Demeuré seul, il alla vers son secrétaire et l’ouvrit. Il en sortit un papier plié et des liasses de papiers. Revenu à la table, il jeta un coup d’œil au papier plié, le déchira en mille morceaux qu’il jeta au feu avec une exclamation de dégoût. Rageusement, il les fît disparaître dans le brasier et les regarda se consumer… Enfin, il s’assit et commença à écrire, sa vieille bouche serrée au-dessus de sa plume qui courait sur le papier, rapide et sans une hésitation.

Son travail fini, il le relut soigneusement, s’arrêtant encore et encore sur une phrase et y réfléchissant. Mais c’était bien clair et très simple, il révoquait ses anciens testaments et laissait tout ce qu’il possédait à son cousin Hector Krudar.

Il eut un rire bref, se leva, alla à la porte et l’ouvrit.

— Taterley, cria-t-il, venez ici.

Un bruit de pas et Taterley, ayant ouvert doucement la porte de la chambre, se mit sur le seuil.

— La propriétaire… j’oublie toujours son nom, commença Caleb.

— Mrs Gibson, dit Taterley.

— Gibson ? Est-elle en bas ? demanda Caleb.

— Oui, je le crois, répondit Taterley tout étonné.

— Dites-lui que je voudrais la voir, dit Caleb de son ton sec et autoritaire en se tournant du côté du feu.

Taterley hésita un moment puis, sans bruit, sortit de la pièce.

Quelques instants plus tard, il rentrait suivi d’une petite femme en noir, à la mise désordonnée, au visage effaré.

À peine avait-elle vu Caleb durant les longues années qu’il avait vécu là et il lui inspirait une mystérieuse terreur.

— M. Taterley a été assez bon pour me dire que vous désiriez me voir, monsieur, dit-elle d’une voix émue, en tripotant les plis de sa robe noire dans ses doigts tremblants.