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Page:Gallon - Taterley, trad Berton, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/27

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TATERLEY
719

— Certainement, dit Caleb qui commençait à être gagné par la contagieuse gaieté d’Ella.

Elle saisit son bras vivement et le serra.

— Cher Taterley, dit-elle. Je puis vous appeler Taterley, ce n’est pas mal ? demanda-t-elle.

— Mais oui, ce n’est pas mal, répondit-il.

Sur ce, ils firent emplette de viandes froides assorties, de petits pains et d’une salade. Elle semblait savoir exactement ce qu’il fallait acheter et où l’acheter. Il resta même un peu d’argent sur les deux shillings.

Donald Brett s’était remis au travail lorsqu’ils rentrèrent. Ella ne lui permit pas de s’interrompre. Elle exigea de Caleb qu’il marchât sur la pointe des pieds pendant qu’elle mettait la nappe et préparait le couvert. Elle fit maintes excursions dans la chambre à coucher, pour chercher de l’eau afin de laver la salade. Elle trouvait tout ce qui lui était nécessaire. Bientôt, battant joyeusement des mains, elle appela Donald pour dîner, anxieuse d’obtenir son approbation.

Le jeune gentleman se promena autour de la table, en proie à une admiration qui lui coupait la parole.

— Et vous allez prendre quelque chose avec moi ! s’écria-t-il enfin. Ah ! comme c’est gentil. Ça vaut le meilleur restaurant de Londres et je défie n’importe quel établissement de montrer une plus belle salade.

— Vrai ! vous n’êtes pas fâché que j’aie pris assez pour mon dîner ? demanda-t-elle timidement. J’ai trouvé que ce serait plus gentil.

— Bien plus gentil, j’ai été une bête égoïste de n’y pas penser. Par Jupiter ! j’ai une faim !

Comme il examinait la table, Caleb s’apercevait qu’il y avait trois couverts. Au même moment, la jeune fille, en s’asseyant, le regarda.

— Venez, Taterley, dit-elle, nous avons tous faim.

— Oui, dépêchez-vous Taterley, s’écria Donald, sinon il ne restera plus rien. Caleb n’avait rien mangé depuis le matin où il était entré dans une auberge prendre un peu de pain, de fromage et un verre de bière. Pourtant, il se recula vivement de la table, car il sentait quelque chose qui le prenait à la gorge ; il ramassa son chapeau pour s’en aller.

— Non, non, dit-il à voix basse, je n’y puis songer… je n’ai pas faim du tout, merci.

Les deux jeunes gens échangèrent un regard d’entente à travers la petite table, puis, comme mus par une soudaine impulsion, ils se levèrent et chacun d’eux prit un des bras du vieillard.

— Il le faut, Taterley, dit Ella en lui caressant le bras d’un air engageant.

— Nous ne toucherons à rien si vous ne nous tenez pas compagnie, dit Donald en lui pressant l’autre bras. Voyons, ne faites pas l’obstiné. Il y en a assez pour tout le monde.

— Non, non, dit Caleb d’une voix étranglée, je ne pourrais pas… je ne pourrais pas… Je n’ai pas faim.

Les paroles sortaient rauques de sa gorge, une profonde amertume l’étreignait.

Rien ne pouvait le persuader et ils durent se rasseoir. Enfin, Caleb leur souhaita bonsoir avec la sensation d’une humiliation profonde et sortit, les laissant rire et causer gaiement devant leur misérable repas.

— Revenez nous voir, Taterley, s’était écrié Donald Brett, comme il partait.

— Au revoir, Taterley ! lui avait dit la jeune fille.

— Au revoir, au revoir ! avait répondu Caleb en s’en allant à petits pas, le dos courbé.

Rentré chez lui, dans le sombre appartement de Bloomsbury, il dit à la