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JE SAIS TOUT

— Eh bien ? Et puis, après ? Ils en ont assez besoin, Dieu le sait, dit Caleb comme se parlant à lui-même.

— Pas un penny, Taterley, dit le cousin Hector avec fermeté. Ils n’avaient pas le droit de se marier.

Caleb regarda autour de lui, impuissant et affolé. Le cousin Hector se versa encore un verre, but et se leva chancelant, en proie à une crise de vanité d’ivrogne.

— Ah ! oui, je dépense de l’argent, vous pouvez me croire ! Mais je commence seulement, je vais étonner le monde autour de moi. Il en a laissé un tas, regardez, Taterley, regardez, mon garçon.

Il se retourna et, se cramponnant aux meubles, il vint ouvrir le tiroir de son bureau, dont il remua le contenu, renversant les billets de banque autour de lui.

— Voyez, Taterley, voyez, dit-il. Il y a là dix-huit ou vingt mille livres, je vais donner tout ça demain. J’ai acheté une jolie petite maison dans l’Essex. J’y vivrai comme un grand seigneur, Taterley.

Taterley ne quittait pas de vue les billets.

— Le vieux toqué qui me vend sa maison veut être payé en billets, alors je lui donnerai ça demain. Il faudra venir m’y rendre visite, Taterley.

— Oui, oui, dit Caleb en remarquant où il remettait les billets dans le tiroir. Naturellement, j’irai vous voir.

Il se tourna vivement et, d’un geste rapide, il versa encore un verre de cognac dans le verre vide du cousin.

— Voyons, dit-il, buvons à la jolie petite maison, buvons à Squire Krudar.

— Oui, oui, c’est bien bon à vous, s’écria le cousin Hector en refermant d’un coup sec le tiroir de son secrétaire et en saisissant le verre.

— Squire, squire Krudar. Parfait, parfait. Taterley, vous êtes un gaillard sublime. Taterley, vous prenez un verre. Buvez un coup, servez-vous.

Caleb prit un verre sur le buffet st se versa quelques gouttes de liqueur. Pendant que cousin Hector sifflait sa boisson, Caleb jeta le contenu du verre sur le tapis, puis fît claquer ses lèvres.

— Remplissez les verres, Taterley, s’écria Hector. Pas d’eau, c’est si dégoûtant le goût de l’eau !

Et, au comble de la gaieté, il posa son verre sur la table.

— Mais oui, il ne faut pas prendre d’eau, s’écria Caleb. L’eau est bonne pour le bétail, on le boira comme ça. Allons-y maintenant.

Tout à fait ivre, le cousin Hector laissa tomber sa tête chancelante sur la table, se cramponna un instant, oscilla et, enfin, s’écroula sur le sol, immobile sans un soupir.

— Reste là, brute, dit Taterley, en poussant du pied le bras du cousin Hector. Reste à cuver ton ivresse, il te faudra du temps pour te souvenir de ce qui s’est passé. Je croirai à la Providence après ceci. Il se pencha pour regarder le visage rougi du dormeur. Et maintenant, ma petite dame, occupons-nous de votre fortune.

Il ouvrit doucement le tiroir, en regardant autour de lui. Tout était tranquille dans la maison, on n’entendait rien que le bruit du souffle de l’ivrogne. En sortant les billets, que le cousin Hector avait remis tant bien que mal dans une enveloppe, sa main tremblait.

— Deux mille livres à moi, ah, c’est bizarre de penser que Caleb Fry rentre chez lui pour voler son propre argent, pour le donner.

Il se mit à rire à cette pensée, remit les billets dans l’enveloppe, la plaça dans sa poche et boutonna son misérable paletot tout élimé. Et, après avoir jeté un regard sur le cousin Hector endormi, il sortit sans faire le moindre bruit.