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TATERLEY
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Il descendit les escaliers avec précautions, s’arrêta un instant, puis ouvrit doucement la porte et s’en alla paisiblement à travers les rues désertes.

— Il est engourdi pour au moins douze heures, se dit Caleb, il mettra encore du temps avant de reprendre ses sens.

Mais quelque chose, sans doute, avait dérangé le sommeil d’ivresse du cousin Hector. Il avait dû battre les murailles et renverser les meubles, car quelques heures plus tard, le voisinage était réveillé par la lueur d’un incendie. La maison était vieille, le feu gagna très vite et une échelle de secours arriva juste à temps pour aider au sauvetage du cousin Hector, à moitié asphyxié dans l’étage en flammes. Les beaux meubles flambaient et les pompiers mirent un certain temps à se rendre maîtres du feu.

Mais Caleb Fry ne savait rien de tout cela, il dormait dans sa chambrette en tenant enlacé contre sa poitrine la petite fortune d’Ella.


CHAPITRE XIII

à propos de vieilles habitudes, de nouveaux billets et d’un legs.


Caleb s’assit sur son petit lit le lendemain matin et se mit à examiner sa future ligne de conduite.

— Il faut, se dit-il, me rappeler d’abord que je suis Taterley. Il faut aussi me rappeler que j’ai volé deux mille livres. Comme Caleb Fry, c’est mon droit, incontestablement ; en tant que Taterley, je suis un voleur.

Cette pensée l’apaisa. Il était indifférent à ce qui pouvait lui arriver.

Puis sa pensée revint à Donald et à Ella. Il ramassa le peu qu’il possédait dans cette chambre et prit son chapeau.

— Allons, Taterley, s’écria-t-il en se frappant la poitrine et l’œil brillant d’un éclat inusité, il faut jouer, et gagner la partie sans regarder en arrière. Voyons, quand il va se souvenir que j’étais là et qu’il va s’apercevoir de la disparition des billets, il va crier comme un beau diable. Il n’y a qu’un endroit où il puisse venir me chercher : ici ou chez eux. Il faut que je disparaisse pendant quelque temps.

Il appela les propriétaires de sa chambre, paya ce qu’il devait avec un peu de monnaie qu’il avait en poche. Désormais, il était sans gîte.

Il était de très bonne heure, Caleb se glissa dans un cabaret obscur, où il se fît servir un petit repas qui ne lui coûta que quelques sous et prit un journal.

— Deux mille livres ! se disait-il tout bas en ouvrant le journal. Ici, il nous faut Caleb Fry pendant un moment. Qu’aurait-il fait de ces deux mille livres, Caleb Fry ?

Il avait trouvé la page qu’il cherchait et sa voix s’éteignit. Il resta là une demi-heure, lisant attentivement, levant le regard de temps à autre pour surveiller le boxe dans lequel il était installé ; ses lèvres minces s’agitaient.

Caleb Fry revenait à la vie, en possession de toutes ses facultés.

Il posa sur un bout de papier plusieurs chiffres, paya son repas et sortit.

Dans le grand bureau d’un journal, il feuilleta de nouveau une gazette, regardant toujours à la même page et inscrivant de nouveau des chiffres.

Et la somme qu’il avait dans la tête grossissait et se multipliait, de sorte que les deux mille livres qu’il portait dans sa poche arrivaient à devenir vingt et quarante mille livres !

Il flâna là toute l’après-midi. Puis, il se rendit dans des bureaux situés dans un sous-sol, avec l’aisance de quelqu’un à qui ces endroits sont familiers.

— Je me demande si Anistie me reconnaîtra, dit-il tout bas, en s’arrêtant un moment à la porte.