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Page:Galmot - Un mort vivait parmi nous, 1922.djvu/142

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Un Saramaca, très vieux, très ridé, est assis sous le carbet et monologue, prenant à témoin les choses absentes que désignent ses mains désemparées.

Il est si vieux qu’il aurait pu assister à la naissance du wacapou qui domine le camp, et du caïman monstrueux qui, chaque soir, vient troubler la boue du dégrad.

Sec de peau, le visage plissé et ratatiné, il se dresse sur ses longs et maigres os… et il parle… sans arrêt, comme un hocco emprisonné.

Il est aveugle, et il est centenaire.

Il est aveugle depuis plus de cinquante ans. Il s’imagine voir un peu mieux chaque jour.

— Si rien de fâcheux ne survient, je pourrai, dans quelques années, entrevoir le soleil.

Ses cheveux blancs, tressés par petits paquets, lui donnent un aspect de diable aux cornes multiples. Tout son corps est tatoué. La peau de son visage a l’apparence d’un cuir repoussé. Les cicatrices qui vont de la commissure des lèvres aux tempes, en spirales symétriques, élargissent et retroussent l’arc de la bouche en un rire perpétuel, effrayant et comique.

Il ne sait pas fumer, il renifle à tout propos l’affreux mélange de piment, de tabac et d’huile de coco qu’il garde dans un petit pot caché sous son kalimbé.

Il raconte ce qu’il voyait avant d’être aveugle. Il