Page:Galmot - Un mort vivait parmi nous, 1922.djvu/143

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ne parle pas des hommes de la tribu qu’il n’a jamais cessé de voir, grâce à ses mains, d’une extraordinaire sensibilité, mais du fleuve, des arbres, des îles, des oiseaux et du soleil dont l’image le hante.

— Je te guiderai dans la brousse.

Lorsqu’il m’accompagne, sa mémoire ne le trahit jamais :

— Ici, commence le tracé qui conduit aux trappes… Ici, c’est le sentier de la pêche… Voici, maintenant, le terrain marécageux où poussent les waras. En obliquant vers la droite, tu trouveras la trace que suivent les pakiras lorsqu’ils vont boire à la rivière.

Il rit ; son rire tatoué fait une affreuse grimace.

— Ainsi, dit-il, j’y vois chaque jour un peu mieux… bientôt je verrai la lumière.

Il nomme au passage les bêtes que je ne vois pas et dont il perçoit les pas et le souffle derrière le feuillage.

Chaque jour, il revient auprès de moi ; il m’apporte quelque nourriture, il m’interroge sur le placer, sur les pirogues.

— Bientôt, je t’accompagnerai sur le fleuve. Depuis plus d’un demi-siècle, il a confiance dans l’avenir qui lui rendra la vue.

— Et toi, dit-il, comment sont tes yeux ? est-ce que tu y vois clairement ?

Il voudrait me fixer. Il palpe mes bras et ma tête,