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XXXII



TU me conduiras sur le fleuve, dis-je au vieux Saramaca aveugle. Tu me conduiras…

Les mains du vieillard tremblent ; ses lèvres balbutient ; il est ivre d’orgueil ; il chancelle.

— Pour fuir le sortilège, pour sauver mon esprit en déroute, j’irai avec toi sur l’autre rive, à la fourca où croisent les convois… Puis, les chercheurs d’or m’amèneront à Mana… Peux-tu concevoir cela : la mer ? Une grande pirogue roule et tangue sur un fleuve sans rives… On ne voit plus rien… Le brouillard qui s’étend derrière tes prunelles mortes, c’est la mer…

L’aveugle s’accroche à mes bras :

— Je te suivrai… Ne m’abandonne pas. Ici, les arbres et les hommes me cachent la lumière… Mais, là-bas, je verrai le jour.

— Au bout du fleuve béant, après le désert d’eau, après l’immense plaine mouvante et stérile, commence la terre qui m’attend… C’est un petit village perdu parmi les hommes, comme ce camp dans la brousse. Il dort sous des toits gris et roses. Rien n’a jamais troublé la lumière de ses yeux. Il est, comme toi, très vieux ; et comme toi, chaque soir, il s’endort dans un rêve d’enfant. Des rosiers grimpants recouvrent les murs et les tours et les