Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/109

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— Bien mal, commandant ! Nous ne pouvons parvenir, malgré nos efforts, à conserver la frégate vent arrière ; il est à craindre qu’elle ne passe par-dessus la barre.

— C’est là justement ce que je craignais… Que voulez-vous ? La faute en est à la Preneuse qui ne marche pas. Cependant on ne peut établir plus de voiles sur l’avant sans compromettre la sûreté du mât de misaine. Voyons, essayons de parer à cet inconvénient en filant un câble à l’eau sur l’arrière.

On se mit aussitôt à l’œuvre, et l’expédient réussit, en effet, au mieux.

Une fois cette installation exécutée et le navire hors de danger, l’Hermite, n’étant plus excité par l’émotion de la lutte, fut s’asseoir près de la poupe, afin de pouvoir, probablement, s’abandonner sans contrainte à l’amertume de ses pensées.

À chaque coup de mer qui ensevelissait la frégate sous une masse d’écume, je le voyais tressaillir de douleur. À plusieurs reprises, je l’entendis même répéter à haute voix : « Il n’y a pourtant pas de ma faute ; j’ai fait ce que j’ai pu… Mais cinquante hommes hors de combat !… le navire abîmé… N’importe, j’ai rempli mon devoir… »

De leur côté les officiers, réunis à une certaine distance de lui, n’osaient interrompre ses sombres réflexions, et détournaient leurs regards du sien quand il se dirigeait vers eux. Il y avait, pourquoi ne pas l’avouer, presque un reproche tacite dans leur contenance. Après tout, ils avaient tant souffert qu’un peu d’injustice leur était presque permis.

Cette muette et pénible scène de pantomime durait depuis près d’une demi-heure, lorsque l’enseigne Graffin s’en fut droit au capitaine, et, le saluant profondément, s’arrêta immobile devant lui.