Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/117

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de fixer au milieu du tillac, formaient un discordant et sinistre concert rendu plus triste encore par un crépuscule presque aussi sombre que la nuit.

Pour surcroît d’ennui, les blessures mal bouchées de la carène, malheureux souvenirs de la baie de Lagoa, laissaient pénétrer la mer dans la cale et nécessitaient constamment l’emploi des quatre pompes. Ce travail, aussi pénible qu’indispensable, achevait de briser l’équipage déjà accablé de fatigue ; mais personne ne songeait à se plaindre, il s’agissait du salut commun.

Ce fut à ce moment que le médecin du bord vint trouver l’Hermite, qui se promenait sur la dunette.

— Capitaine, lui dit-il d’une voix émue, si vous ne changez pas l’allure du navire, je ne puis plus répondre d’un seul de mes blessés… leur position est atroce ; jetés à chaque instant hors de leurs couchettes par les secousses de la frégate, ils roulent d’un bord à l’autre de l’entre-pont, dans d’épouvantables souffrances ; plusieurs sont déjà morts.

— Assez, docteur, assez, s’écria l’Hermite en l’interrompant d’un ton de douleur profonde. Ne me déchirez pas ainsi inutilement le cœur, et n’affaiblissez pas mon courage ! Dieu qui m’entend et voit clair dans mon âme, sait que je n’hésiterais pas à sacrifier ma vie, s’il le fallait, pour sauver ces malheureux… mais à bord de la Preneuse, en ce moment, je ne puis être un homme… je dois rester capitaine…

Le docteur, habitué au service et connaissant l’Hermite, s’inclina devant lui et s’éloigna sans répondre ; il s’attendait, sans nul doute, au refus qui accueillit sa prière, mais il avait dû, lui aussi, obéir à ce que son devoir lui ordonnait de faire.