Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/206

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que moi, mais je suis plus malin que toi… Laisse-moi terminer, sans t’en mêler, mes affaires. Kernau, après cette réponse, sortit tout en sifflant un petit air de fandango ; une réminiscence, sans doute, de son séjour à Cavit. Je passai, ainsi que tout le monde de l’habitation, le reste de la nuit sur pied. L’état du capitaine empirait d’heure en heure, cependant, le médecin qui ne le quittait pas prétendait qu’il répondait de lui : en effet, lorsque le soleil se leva, l’épouvantable crise que, depuis près de dix heures, l’Hermite subissait avec une résignation de martyr, se calma peu à peu, et il finit par s’endormir d’un sommeil léthargique. J’allais me jeter sur mon lit pour prendre un moment de repos, lorsque, je me rappelle encore cet événement comme s’il ne datait que d’hier, je vis Kernau pâle, défait, se soutenant à peine, qui se dirigeait vers la porte de l’habitation. Il s’appuyait sur un bâton noueux retenu à son poignet par une attache de cuir ; je me précipitai vers lui. — Qu’as-tu donc, matelot ? lui demandai-je en le saisissant dans mes bras pour l’empêcher de tomber. — Ce que j’ai, vieux, me répondit-il en essayant de sourire… mais pas grand-chose… une prune anglaise, que je ne puis pas digérer, dans le corps… Ah ! ne me serre pas si fort, vieux, tu me fais mal… je me sens ce matin douillet comme tout… Mon pauvre matelot, en parlant ainsi, retira sa main gauche, qu’il appuyait sur sa poitrine, et me montra une affreuse blessure. — C’est l’English qui m’a pistoletté, le chenapan ! continua-t-il en me faisant signe de ne pas l’interrompre. C’est mesquin, je le sais… que veux-tu !