Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/26

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flegme parfait. Allons, vieux, souque ta garcette… ça te distraira… Appelant à mon aide toute ma force de volonté et toute mon énergie, j’essayai d’obéir à mon matelot ; mais à peine avais-je lâché la vergue après laquelle je me tenais cramponné que la frégate donna un effrayant coup de tangage. Ne m’attendant pas à ce mouvement contraire, je perdis l’équilibre.

— Kernau, je tombe ! m’écriai-je de nouveau en fermant les yeux. Je me sentais déjà au fond de la mer.

— Bah ! est-ce que l’on tombe jamais ! répéta tranquillement Kernau en me retenant d’une main prompte et nerveuse, c’est des bêtises, ça…

Une fois ma besogne achevée, et Dieu sait que je n’en serais jamais venu à bout sans l’aide de mon matelot, je regagnai avec assez de peine la hune d’artimon, puis je descendis sur le pont.

— Eh bien, vieux, me dit le Breton en riant, tu vois bien que tu as fini par ne pas dégringoler… Avais-je raison ?

— C’est vrai, mais si tu ne m’avais pas empoigné au passage…

— Tu ne serais pas tombé davantage pour cela… puisque d’abord je te dis qu’on ne tombe jamais… Es-tu têtu, donc !

Huit jours plus tard, grâce à ma persévérance soutenue par les conseils du frère la Côte, je prenais un ris sans plus me soucier du gouffre placé sous moi que des nuages qui passaient au-dessus de ma tête.

Entre le banc des Aiguilles et l’île de France nous capturâmes un riche trois-mâts portugais, de la force d’une frégate de douze, abondamment chargé de marchandises de l’Inde, nommé l’Elcinger.