Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/28

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Après le temps strictement nécessaire à la mise en état de ces six bâtiments, nous nous dirigeâmes vers les côtes de l'Inde. Inutile d'ajouter qu'une fois l'Elcinger mis en sûreté, je m'étais rembarqué sur la Forte. Quant à mon matelot Kernau, il me donna à ce propos une preuve d'amitié qui me toucha singulièrement.

— Mon vieux, me dit-il le jour où nous appareillâmes, si tu étais plus avancé dans ton éducation, la Forte n'aurait pas l'honneur de me compter en ce moment parmi les hommes de son équipage.

— Pourquoi cela, matelot ? lui demandai-je.

— Comment, pourquoi cela ? Mais parce que j'aurais filé mon câble. Je t'aurais dit : Vieux, viens-t'en avec moi courir les aventures. Je suis frère la Côte, et un frère la Côte trouve toujours moyen d'utiliser ses talents dans les mers de l'Inde, et tu m'aurais suivi… Ah ! ne dis pas le contraire… Cela me vexerait… J'veux croire que tu m'aurais suivi, moi, c'est mon idée…

— Ainsi je suis la cause, mon pauvre matelot, qui t'a empêché d'accomplir un projet que tu souhaitais réaliser depuis si longtemps ?

— Assez parlé sur ce sujet. Tu connais ma manière de voir ; on est matelot ou on ne l’est pas, si on l’est, on l’est…

— Oui, je connais.

— Et puis, après tout, c'est-y donc un si grand malheur pour moi d'être resté à bord… Aussi sûr, crois-moi, que je suis fils de ma mère, il ne se passera pas quinze jours avant que nous causions avec l'English. Positivement nous aurons de l'agrément.

Une semaine s'était à peine écoulée depuis cette conver­sation, lorsque la prophétie de mon matelot se réalisa. Nous rencontrâmes deux vaisseaux anglais : le Victorieux, de 80 canons, et l'Arrogant, de 74.